L'appel

Bleu est le ciel de la nuit, étalée sur l'herbe, je regarde les étoiles qui apparaissent entre jour et nuit, entre chien et loup. 
Le corps épousant l'herbe du ventre de la Terre. C'est ici que je me sens bien et que je me sens accueillie. Ici, on ne me demande pas de concourir à quoi que ce soit. On ne me compare pas. Ici, je suis moi et mon corps retrouve le cœur de la vie. Je pourrais presque oublier mon enveloppe, et faire un avec le centre de cette mère qui m'aime, comme toutes les créatures vivantes.
Je me ressource, je me recharge et je sens ce que c'est que d'être. 

Dans ma vie de tous les jours, je me sens déconnectée. Je me sens comme perdue, comme si je flottais au-dessus de toute réalité : un astronaute avec un cordon ombilical qui ne sait pas vraiment à quoi il est connecté. Je regarde en bas et je me demande qui sont ces gens et ce qu'ils font. Je ne comprends pas cette agitation de fourmilière où tout est organisé, je n'en vois aucun sens. Je suis le mouvement : métro, boulot, dodo. 
Et c'est comme si ce n'était pas mon monde, ce n'était pas mon rythme organique.

Moi, c'est la Terre qui m'appelle, la forêt, la jungle. L'espace dans lequel on a l'impression du chaos. C'est là où je suis le plus attachée. Je sens l'appel de la Terre de plus en plus me chuchoter son chant au creux de mon être. Il n'y a plus de doute quand elle me parle, plus de dissociation, je suis une et je peux voir le dessin de la vision tellement plus grande que moi. Car au fond qui suis-je moi dans ce grand tout ? Mon corps appelle à épouser sa terre. 

Je sens que la clé est le corps. Que tant que je ne me sentirai pas bien et en harmonie avec lui, la pièce du puzzle ne trouvera pas sa place, ici et maintenant.
Serait-ce dans ce corps, dans cette terre-là que mon travail commence ?

Combien de fois, je n'ai pas été dans ce corps, suspendu, fuyant le refuge. Combien de fois, je n'ai pas fait mienne la terre de mes entrailles ? 
Parfois, c'est sombre, c'est inconfortable, ça grouille de choses inconnues, que je n'ai pas atteintes, qui n'ont pas remonté à la surface de ma conscience. Je le crois ennemi quand j'ai mal, quand ça tiraille, quand l'inconfort me gagne, quand je suis fatiguée. Ça ressemble à un essaim de doute, à une meute de peur, à une angoisse animale.

Pourquoi ne puis-je pas faire corps avec mon corps ?

La Terre m'appelle à revenir à mes terres de chair et d'os. D'être là comme une joueuse au jeu de la vie. La porte est juste ici, c'est si simple, mais pas facile. Balayer, chahuter par mes histoires, mes vies et mes tourments. Je n'arrive pas toujours à m'accrocher à la poignée. Je ne vois pas la porte à l'intérieur de moi. Est-ce qu'aimer sa vie au quotidien dans mon corps pourrait me sauver ? Est-ce que le corps est la voie royale de mon destin ? Apprécier les cadeaux et le merveilleux de la vie, pourrait-il m'amener là où je suis censée être ?

Les sens sont peut-être mes alliés. Je sens ce qui se présente à moi, je vois au-delà des apparences, je touche ma matière et les reliefs de ce qui m'entoure et je goûte à tout ce qui s'offre à moi. J'entends même si je ne vois pas. Tous ces sens sont-ils les baguettes magiques de mon corps qui vont me guider jusqu'aux réponses pour sortir de la matrice qui ne me correspond pas ?

Aujourd'hui au travail, je décide d'être attentive. Quelqu'un me présente un flyer sur une forêt : je vois. J'ouvre la fenêtre du bureau et j'entends le chant de l'oiseau que je ne vois pas. Je sens le vent qui touche ma peau et qui n'a pas de forme. Et je goûte aux fruits de mon repas. Tout cela est si limpide quand je le vis. Je veux le vivre dans mes choix, mes actions, mes orientations. 

Demain, je pars en train rencontrer la plus grande forêt de la Terre. Je décide de choisir l'inconnu, au connu des repères plantés dans ma tête. Je choisis les racines de mon cœur, la porte de mon corps. Ensemble, nous ferons corps pour être au monde, pour faire corps. Et mettre au monde ma place unique qui m'appelle.